Aucun résultat

La page demandée est introuvable. Essayez d'affiner votre recherche ou utilisez le panneau de navigation ci-dessus pour localiser l'article.

Guérir des images en fabriquant les siennes

La prise en charge des joueurs excessifs relève d’abord du rôle des parents et des pédagogues. Il faut cadrer le temps de jeu sans pour autant l’interdire, et surtout inviter le joueur à privilégier les interactions d’images qui créent du sens. On peut y parvenir de deux façons.
La première consiste à parler avec le joueur – voire, pour les parents, à jouer avec lui – pour l’aider à constituer son jeu en espace de construction de ses propres représentations symboliques. Quant au joueur excessif, il  ne doit pas être invité à arrêter son jeu, mais d’abord à jouer différemment. En pratique, cela signifie l’aider à passer d’un jeu sensori-moteur à un jeu plus narratif, et à se construire une identité narrative à travers celle de son avatar. Cela suppose que les parents, les pédagogues, et bien sûr les thérapeutes, connaissent les jeux vidéo…
La seconde façon d’aider les joueurs excessifs est de les inviter à créer leurs propres images. Par exemple en faisant des petits films sur leur passion du jeu avec leur téléphone portable. N’oublions pas que le jeu vidéo est un espace d’images et que l’être humain a inventé les images pour donner du sens à sa vie. C’est pourquoi la meilleure façon de s’opposer à des images dénuées de sens consiste à favoriser la construction d’images qui donnent du sens. Mais il est bien évident que ces remèdes ne sont efficaces que parce que le jeu excessif n’est pas une addiction ! Essayez donc de guérir des buveurs ou des fumeurs excessifs, ou même des joueurs de jeu d’argent, en leur proposant de faire un petit film ! Cela a été tenté dans des centres de consultation dans les années 1980, et l’échec a toujours été au rendez vous. C’est parce que le jeu excessif n’est pas une addiction que cette stratégie réussit, alors qu’elle échoue aussitôt qu’une substance toxique est en jeu.

Mais pourquoi parlent il donc d’addiction ?

Pourquoi diable certains psychiatres persistent-ils à parler d’addiction au sujet des adolescents et des jeux vidéo alors que tous les travaux comparatifs montrent qu’il ne s’agit justement pas de cela(1)  ? Je vois au moins trois raisons à cela. Bien sûr, ils en escomptent des crédits et des créations de postes. Mais ne soyons pas trop terre à terre. A mon avis, deux autres raisons les guident.
La première est leur ignorance des relations complexes que l’être humain entretient avec les images : elles sont toujours recherchées comme un moyen de donner du sens à l’existence, et les échecs sur ce chemin ne permettent pas d’assimiler leur usage à une drogue. D’ailleurs, la consommation excessive d’images se guérit en général très bien par la fabrication des siennes, alors que la consommation excessive de tabac ou d’alcool ne s’est jamais guérie en fabriquant du vin ou du tabac, et encore moins en fabriquant des images !
Mais la raison principale à vouloir faire de la pratique du jeu vidéo une addiction pourrait bien relever de l’estime de soi de ceux qui prétendent s’en occuper. On n’a jamais vu un patient souffrant d’alcoolisme guérir par une psychothérapie. C’est un traitement d’appoint, mais ce sont les médicaments et les groupes d’anciens buveurs qui sont les plus efficaces. Et avec l’apparition des addictions à l’héroïne et à la cocaïne, ce sentiment d’échec n’a fait qu’empirer… En alimentant le fantasme que les pratiques excessives du jeu vidéo à l’adolescence seraient une nouvelle « addiction », certains professionnels comptent bien montrer que cette fois – et à la différence de ce qui se passe pour l’addiction au tabac, à l’alcool ou au haschisch -, ils savent la guérir ! Et c’est vrai : il n’est pas trop difficile de guérir « l’addiction aux jeux vidéo » à l’adolescence, tout simplement parce qu’elle guérit le plus souvent toute seule au moment du passage à l’âge adulte ! Voilà le pas qu’il nous faut franchir. S’il est si facile de guérir « l’addiction aux jeux vidéo » à l’adolescence – contrairement à l’addiction au haschich par exemple – c’est justement parce que ce n’est pas une addiction.
 
(1) Voir blog du 21/02.

A qui profite l’addiction ?

ou : Comment intégrer les joueurs excessifs à l’économie ?
Les autorités Chinoises, en décrétant que les joueurs excessifs – c’est à dire excessifs à leurs yeux – souffraient d’une maladie appelée « addiction », ont rendu possible leur hospitalisation forcée dans des hôpitaux militaires où on a tôt fait de les remettre au travail. Les Etats-Unis d’Amérique, eux, n’intègrent pas leurs malades en les transformant en petits soldats, mais en gros consommateurs. Autre pays, autres mœurs. Si les autorités sanitaires américaines reconnaissent l’addiction aux jeux vidéo, ce sera donc parce qu’un puissant lobby prétend aujourd’hui les soigner avec des psychothérapies sur mesure. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Les chercheurs cognitivistes et comportementalistes, qui ont mis au point les stratégies d’apprentissage capables de scotcher les jeunes aux jeux vidéo, connaissent évidemment sur le bout du doigt les stratégies qui permettent de les en décoller : et pour cause, ce sont les mêmes ! Celui qui fabrique le poison est évidemment le mieux placé pour fabriquer aussi son antidote ! Et les thérapeutes de cette obédience ne sont pas les seuls intéressés : faire reconnaître le jeu vidéo excessif comme « addiction » ouvrirait en outre ce marché à l’usage des « drogues » légales : je ne serais pas étonné que, si la décision était prise de faire de l’Internet Addiction Disorder une pathologie reconnue, des laboratoires pharmaceutiques proposent bientôt des médicaments pour guérir les adolescents joueurs excessifs ! Ils représentent en effet un fabuleux marché… même si la plupart deviennent des joueurs tout à fait raisonnables au moment du passage à l’adulte. Ils ne voudront pas se faire soigner parce qu’ils ne se sentent pas malades, me direz vous. Et bien justement, le mot d’addiction justifiera qu’on les y force ! D’où l’enjeu que ce mot représente. L’accepter n’est pas anodin. C’est un choix de société.

L’opium des adolescents

Toute pratique collective  entraîne dans son sillage un certain pourcentage d’excès. Fixons arbitrairement ce pourcentage à 1%. Si une pratique collective est peu répandue, les individus concernés par ce pourcentage sont pratiquement invisibles. Mais si la même pratique se généralise, ce pourcentage se traduit par un nombre significatif de sujets. Prenons par exemple les rituels religieux : la littérature psychiatrique de la première moitié du XXème siècle(1)  relate un grand nombre de cas de pratiques obsessionnelles des rites catholiques. Karl Marx avait d’ailleurs parlé au sujet de la religion « d’opium du peuple », autrement dit de vraie drogue ! Mais  aujourd’hui, et alors que rien ne prouve que le pourcentage de catholiques compulsifs soit moindre, le nombre de pratiquants de cette religion a tellement baissé que plus personne n’y fait attention.
Prenons maintenant l’exemple des jeux vidéo. Aussitôt qu’ils sont apparus, il s’est révélé qu’un certain pourcentage de joueurs étaient amenés à s’y fixer de façon obsessionnelle et compulsive. Comme le premier jeu dans lequel cette pratique s’est révélée s’appelait Everquest, cette maladie nouvelle a été baptisée « Everquestite ». Comme une mauvaise fièvre, l’Everquestite durait un an ou deux jusqu’à ce que le joueur, réalisant qu’il passait à côté de sa vie, affective et professionnelle, s’arrête de jouer. Ceux qui ne s’arrêtaient pas étaient évidemment les psychotiques, qui se sentaient bien incapables d’entrer dans la vraie vie !
Puis le jeu vidéo est devenu une pratique de masse, et le même petit pourcentage d’usagers ayant tendance à développer une pratique compulsive a gonflé… jusqu’à devenir, paraît-il un problème de santé publique. Et pourtant, rien ne prouve que la pratique excessive du jeu vidéo soit une forme d’addiction. C’est même l’idée contraire qui s’est imposée à Keith Bakker, ce hollandais qui a tenté pendant deux ans de soigner les joueurs excessifs comme des « drogués ». Il y a totalement renoncé après deux ans, en concluant que « ça n’avait rien à voir », et en les renvoyant à leurs parents et pédagogues !
 
 
(1) Comme le Manuel de Psychiatrie de Henri Ey.

Conversations Psychanalytiques | Ignacio Gárate Martinez

Ignacio Gárate Martinez  –  Conversations Psychanalytiques avec Xavier Audouard, Michel de Certeau, Joël Dor, Maud Mannoni, Octave Mannoni, Francesc Tosquelles, Ginette Michaud – Editions Hermann.
 
 
 
Ce livre est un ouvrage de référence pour l’histoire de la psychanalyse et les psychanalystes, qu’ils soient en formation ou « confirmés ». Un cadeau du témoignage de sept noms qui sont partie constitutive des fondements de la psychanalyse et de son éthique. Et ce d’autant plus dans notre époque où trop peu de témoignages d’une psychanalyse vivante existent.

Rire de soi | Collectif

« Rire de soi »,  Libres Cahiers pour la Psychanalyse, N° 17, à partir de « L’humour », Sigmund Freud, 1927 (Edition In Press).

En quittant l’Autriche de 1938 déjà sous la coupe de l’Allemagne nazie, Freud fut « invité » par la gestapo à écrire quelques lignes sur le fait de « n’avoir pas été maltraité ». Âgé de 82 ans, sous la protection diplomatique de la Princesse Marie Bonaparte, le fondateur de la psychanalyse eut l’audace d’ajouter à cette déclaration imposée, un additif selon lequel, il « recommandait vivement la gestapo  à toute personne ». A t-il à ce moment conscience d’illustrer sa propre théorie sur « l’humour » parue en 1927 et complémentaire de ses réflexions sur le « Mot d’esprit et son rapport avec l’inconscient » (1905) où il explique déjà que cet humour « remplace la colère » ?
 

Conversations psychanalytiques | Ignacio Garate-Martinez

 Conversations psychanalytiques de Ignacio Garate-Martinez (Editions Hermann)

Loin d’être hermétique, la frontière entre « écrivain et psychanalyste », ainsi que se définit l’auteur, regorge de multiples passages clandestins. Celui, par exemple, qui ouvre un chemin entre « conversation » et conversion – analytique s’entend – se donne juste la peine de modifier un signifiant de la lettre. De conversation à conversion, il n’y a, si l’on ose dire, qu’un pas de « ça » à franchir ! Il en va ainsi de ces « conversations psychanalytiques » proposées par Igniacio Garate-Martinez, survenues entre 1982 et 2003 et qui semblent « tracer » l’empreinte de son propre passage des « années d’apprentissage au « bord de la maturité » de sa pratique analytique. Et lorsque l’on trouve parmi ses « sept interlocuteurs », des figures aussi historiques de la psychanalyse que celles d’Octave et de Maud Mannoni, Michel de Certeau, Xavier Audouard, Joël Dor ou Ginette Michaud, le sentier vicinal devient une allée royale. Et si, malgré toutes ces alléchantes mentions, le lecteur hésitait encore, la puissance poétique du style, la profondeur de l’échange, l’authenticité du propos dès les premières pages de cet ouvrage récemment paru chez « Hermann Psychanalyse », achèveraient de le convaincre de s’engouffrer dans le monde de l’intériorité analytique et de la réflexion sur le sens d’un parcours. Une réflexion toujours bornée par la dimension humaine.

L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage | Henri Rey-Flaud

Henri Rey-Flaud : « L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage, Comprendre l’autisme » (Editions Flammarion, Département Aubier, Coll. « La psychanalyse prise au mot »)
Entre 1943, l’année où le pédopsychiatre américain Léo Kanner publie un article qui, en reconnaissant cette pathologie spécifique, marquait la naissance de l’autisme et le livre récent et passionnant de Henri Rey-Flaud « L’enfant qui s’est arrêté au seuil du langage », une lente évolution amplement nourrie par les travaux persévérants de la psychanalyse, a permis de mieux « comprendre l’autisme ». Et surtout de ne plus le tenir comme une affection « d’origine organique irréversible » mais au contraire comme une halte, un arrêt sur image décrivant, avec « sa cohérence et sa logique propres » nous dit l’auteur, une attente destinée à « relancer la rencontre avec l’autre » qui a fait initialement défaut. Là où chez les autres tout-petits, l’entourage maternel ou parental prodigue les éléments nécessaires à l’étayage des émotions et des excitations par le langage, l’autiste doit faire face à un vide sidéral, un immense « trou noir » pour reprendre l’expression de Frances Tustin, dont il tente de se protéger dans une « solitude » qui laisse le corps physique au seul contact du réel.

Blog Addiction: Faut-il craindre une pénurie de joueurs de jeux vidéo ?

Les chercheurs spécialisés en « addiction aux jeux vidéo » risquent-ils de manquer de matière première ? C’est ce qu’on peut craindre quand on voit le nombre de chercheurs en quête de joueurs à tester ! Portés par les médias qui ne cessent pas de parler « d’addiction » pour parler d’habitudes – ils ont inventé récemment « l’addiction à l’automobile » ! -, certains ’addictologues rêvent de renforcer leur spécialité en surfant sur les angoisses des parents. Les voila donc partis pour montrer que « l’addiction aux jeux vidéo » serait la nouvelle hydre de demain. Hélas pour eux, les patients ne suivent pas. Paris, avec sa grande couronne, est plutôt bien lotie : une petite cinquantaine, de patients suivis, mais dont beaucoup présentent une pathologie psychiatrique sous jacente grave. Mais par exemple, sur l’ensemble de la Bourgogne, cinq joueurs excessifs adultes sont recensés et suivis, dont deux avec une pathologie dépressive sévère qui fait passer la question des jeux vidéo au second plan. Alors, pourquoi une telle mobilisation pour un problème aussi mince ? La raison principale n’a évidemment rien à voir avec la médecine et tout avec le marketing. Ces recherches sont destinées à obtenir une augmentation des crédits, de recherche, des postes et des locaux dans une logique de croissance institutionnelle.

Il y a peut-être toutefois une solution. Que les chercheurs retournent leurs instruments sur eux-mêmes. Après tout, Bruno Latour l’a fait en sociologie, en appliquant les méthodes de sa discipline à l’étude du fonctionnement d’un grand laboratoire de recherche. Pourquoi ne pas faire la même chose avec l’outil psychologique ? On pourrait par exemple, faire passer divers tests de psychologie à des chercheurs en addictologie, à des psychiatres et à des psychanalystes, et comparer dans ces diverses populations la construction du narcissisme, le contrôle de l’impulsivité, les formes de l’empathie, ou encore le rapport à la transcendance…

Au moins, ce serait novateur. Je suis prêt à soutenir tout programme de recherche dans ce sens !

Pas de console de jeu avant six ans ?

Certains pédagogues, et quelques commerciaux avides de s’ouvrir de nouveaux marchés, proposent de mettre l’enfant de plus en plus tôt sur les outils informatiques. On a vu même vu des pédiatres vanter les mérites de la console de jeu pour les bébés ! Mus par la même idéologie, des enseignants des maternelles rêvent de mettre les bambins devant des ordinateurs ! Tous ces adultes pressés d’initier les jeunes enfants à l’outil informatique devrait réfléchir à la leçon d’Adobe* . Installer sur un ordinateur un enfant qui n’a pas encore exploré toutes les capacités merveilleuses de sa main risque bien de l’en priver définitivement. Il deviendra l’un de ces « handicapés » dont nous parle l’expérience d’Adobe, voire un handicapé plus gravement mutilé encore puisqu’il ne s’agira pas d’un adulte qui aura fini par oublier les richesses de sa main, mais d’un enfant qui ne les aura jamais découvertes.

La leçon de tout cela ? C’est qu’il est non seulement inutile d’introduire un enfant trop tôt aux technologies informatiques, mais même dangereux. D’autant plus inutile qu’un enfant qui les découvre à six ou sept ans a vite fait de les assimiler, et d’autant plus dangereux que celui qui y est initié trop tôt risque de se détourner du dessin, du découpage et du modelage qui sont autant d’école des pouvoirs de la main. On sait la lutte que j’ai menée contre la télévision avant trois ans. Les technologies informatiques me semblent justifier la même prudence. C’est pourquoi après « Pas de télé avant 3 ans ! », je suis tenté de dire : « Pas de console de jeu avant six ans ! Pas d’Internet avant 9 ans ! ». Cela signifie t il que la télévision et son flux publicitaire soit sans conséquences au-delà de trois ans ? Non, bien sûr. La vigilance doit rester forte pour cadrer le temps passé devant la télévision, puis devant les jeux vidéo, et enfin devant Internet. Mais c’est bien parce que je juge de la plus haute importance les acquisitions rendues possibles par ces divers média qu’il me semble important de ne pas les introduire trop tôt : afin que leur adoption et leur usage aient pu être préparées par les apprentissages précédents.

 

* Voir mon billet de la semaine dernière : « Créez avec vos mains, et pas d’un clic ! »