Qu’est-ce que le transfert ? Est-il normal que je m’attache à mon psychanalyste ? Tombe-t-on amoureux de son psychanalyste ?
Il est tout à fait normal de s’attacher et même de tomber amoureux du psychanalyste. La situation analytique est une situation particulière, en dehors du contexte social habituel. C’est une situation permettant d’accéder au plus intime de soi même et à sa vérité profonde. La personne analyste, détournée du champ du regard, puisque derrière le divan, va pouvoir être investie d’affects, d’affection, comme un proche, ou un parent de la petite enfance. L’analyse va pouvoir alors se dérouler.
Freud nommait amour de transfert, la part d’idéalisation que l’analysant voue à son analyste. Cet amour est la condition d’une « névrose de transfert » qui se crée dans la cure analytique, permettant le travail analytique lui-même. Guérir par l’amour. C’est la condition du travail analytique lui-même.
Pour de nombreux auteurs psychanalytiques, le transfert a pris une extension très large, désignant l’ensemble des phénomènes qui constituent la relation du patient (l’analysant) à l’analyste.
Cette part d’idéalisation peut se transformer en attachement inconditionnel, que l’on peut qualifier de « passion de transfert », il peut se produire alors des accidents dans l’analyse. Accident, quand cette passion déchaîne un contre-transfert érotique et pulsionnel, non maîtrisé chez l’analyste qui quitte alors sa place, entraînant le couple singulier analysant – analyste dans une folie à deux destructrice et ravageante. C’est quand même l’exception, mais ce sont les risques du métier qui se doivent d’être sus.
Le transfert est un phénomène beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît, non simplement basé sur la notion de transfert/contre-transfert qu’avait défini Freud. Ces ressorts du transfert, Freud les avait découverts avec le cas de sa patiente Dora. C’est ce qui fonde l’action de la psychanalyse, avec le dispositif de la cure. Ce transfert s’établit dans la confiance, permettant le déroulement de la cure, du début jusqu’à la fin. Il est un morceau de répétition du passé, un « automatisme de répétition » disait Lacan ; permettant de rejouer dans la cure une scène du passé infantile refoulé, de façon à substituer la remémoration à la répétition, jusqu’à l’éclosion de la passion. Il y a donc irruption du sexuel dans la cure, il y a de quoi déranger, c’est la présentification de l’inconscient, résistance disait Freud. L’analyste manie l’explosif des pulsions et des émois psychiques les plus dangereux disait-il, mais dans le but de les maîtriser en les ramenant à leurs origines infantiles. Ramener à ses origines cette vague d’émotions et de sentiments oubliés, ce réveil pulsionnel, au premier choix d’objet d’amour et aux fantasmes tissés autour, de façon à faire faire un pas psychique de plus au patient.
Manier le transfert, c’est donc régler sa pratique, de la part de l’analyste. C’est certainement pour cela que Lacan a promu le « désir de l’analyste » comme pivot du transfert. Désir de l’analyste qui désigne cette tension qui s’exerce lui, de par sa formation sans cesse poursuivie et qui vient le marquer de l’impossibilité absolue de toute jouissance venant de son contact avec l’analysant. La position de l’analyste est pour Lacan ce qui se place au cœur de la réponse qu’il doit donner à l’analysant pour satisfaire au besoin du transfert. L’activité de l’analyste est une activité d’écoute. Elle doit se faire complice du désir et de l’angoisse, en dés érotisant l’analysant qui en est porteur, pour l’aider à advenir autre, dans une création transférentielle à deux. La psychanalyse libère le désir du sujet pris dans les mailles de ses fantasmes infantiles, lui permettant de s’actualiser dans le présent ; par le biais de la parole, seul acte psychanalytique.
La psychanalyse est donc un acte de liberté, de liberté subjective. Elle ne doit être en aucun cas un acte d’aliénation. Or c’est ce qui se passe quand il y a accident, accident dans cette rencontre de deux désirs, où l’un va se retrouver en position d’objet du désir de l’autre : le désir du sujet en analyse pris dans le désir de l’analyste en tant qu’homme et non plus en tant qu’analyste. Ces cas existent depuis le début de l’histoire de la psychanalyse, on y retrouve les noms de Ferenczi, Reich, Steckel, Jones et bien d’autres. A la décharge de ces pionniers, ils étaient dans une identification aux maîtres, tout était à inventer, le cadre notamment. Beaucoup avaient du mal à se soumettre à la règle freudienne de l’abstinence et de la neutralité qu’ils trouvaient trop froides. Freud écrivait en 1915 dans son article Observations sur l’amour de transfert : « Je n’écris par pour ma clientèle, mais pour des médecins aux prises avec de graves difficultés ».
Cent ans après les débuts de la psychanalyse, il est important que ces graves difficultés puissent être parlées, dans un but de prévention. Savoir, pour prévenir ce qui peut entacher cette expérience unique : la cure analytique.
Paris, le 16 décembre 2006.
Dernier ouvrage paru: Les accidents du transfert – Usages et abus du féminin – Eds Du Champ Social- octobre 2006